La Banlieue, un état d’esprit, pas un ghetto

par wassare news
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La plupart des hommes politiques qui utilisent la banlieue et ses mille problèmes comme rente électorale n’y habitent plus, même s’ils y sont nés et y ont grandi, la plupart du temps. Ils habitent Mermoz et les Almadies et envoient leurs enfants dans les meilleures écoles de Dakar. Ils sont sortis de la banlieue grâce à ce qu’était l’état d’esprit de la banlieue et qui a permis à des personnes de Thiaroye, Pikine, Diacksao, Diamaguène, Biafra, qui étaient si mal parties, de s’en sortir grâce à un fighting spirit qui leur a permis de sortir des bas-fonds de la banlieue pour se hisser au sommet.
L’état d’esprit de la banlieue consistait à prendre rapidement conscience qu’on était mal parti, qu’on n’avait pas de bras long ou d’alternative, ou cadre propice, et par conséquent, on devait faire plus d’efforts que les autres. Cette prise de conscience rapide permettait de ne pas perdre son temps devant le mur des lamentations ou de réduire sa vie à la lutte, qui est devenue une véritable arme de distraction massive pour enfermer la banlieue dans le ghetto, en y implantant l’arène.
L’état d’esprit de la banlieue est en train de mourir, depuis que les politiciens ont transformé la banlieue en ghetto électoral. La logique de ghetto est qu’on n’en sort pas. L’origine italienne du mot, désigne l’endroit à Venise, où l’on jetait (jetto) les déchets, avant d’en faire un endroit où l’on enfermait les juifs. Les politiciens, en transformant la banlieue en ghetto identitaire pour des raisons politiques, ont tué cet esprit de la banlieue qui a poussé tant de générations à se surpasser et s’en sortir malgré tous les obstacles.
Aujourd’hui, la plupart des jeunes sont tombés dans le piège et vivent à huis clos dans le ghetto de la banlieue, sans remarquer que les plus grands rentiers de l’identité banlieue n’y vivent plus et ne peuvent plus y vivre parce que naturellement, ils préfèrent les douceurs des Almadies ou Mermoz, à la fureur de leur quartier d’origine. La banlieue comme état d’esprit est une excellente chose, parce qu’elle permet le renouvellement des élites, qui empêche la reproduction des mêmes couches sociales. Par contre, la banlieue comme ghetto identitaire est un piège. Ce qu’était l’état d’esprit de la banlieue est beaucoup plus conforme à la République, qui est le système politique qui a aboli le hasard de la naissance pour le remplacer par le mérite. C’est pourquoi la banlieue a donné à la République des ministres, des diplomates, des généraux, des haut-fonctionnaires, en attendant un président de la République, parce qu’on refusait qu’on nous enferme dans un ghetto. Pour s’en sortir, on avait de solides références et de grands rêves car, comme dit Faulkner, «la sagesse suprême c’est d’avoir des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit».
Dans ma génération, nous avions des rêves mais surtout de grandes références, qu’on voyait tous les jours à la télé. Comment oublier une référence et un rêve qu’on voit toujours à la télévision, en noir et blanc. Une de nos références qu’on voyait toujours à la télé, à côté de Abdou Diouf, était l’ambassadeur Cheikh Niang, un pur Thiaroyois, qui s’est hissé au sommet grâce à cet esprit de banlieue, fait de volonté inébranlable. En le voyant à la télé à côté de Abdou Diouf, on s’est toujours dit que s’il a pu le faire, nous devions pouvoir le faire parce que nous sommes confrontés aux mêmes réalités et difficultés.
Constat de bon sens, qui a poussé beaucoup d’élèves de notre génération à continuer l’école, qui était fortement concurrencée par l’Atlantique, à l’époque si poissonneuse à Thiaroye, ou le dealer de Yamba. L’autre référence qu’on voyait aussi à la télé, d’abord en noir et blanc puis en couleurs, est Babacar Diagne qui, comme Cheikh Niang, a été aussi ambassadeur à Washington, et m’a récemment rappelé la plus grande leçon de cet état d’esprit : «Ne sous-estimer personne, mais aussi n’avoir le complexe de personne.»
Les jeunes doivent refuser de se laisser piéger et enfermer dans le ghetto de la banlieue, ils doivent avoir l’ambition d’en sortir et partir à la conquête de Mermoz, des Almadies et du monde, pour mieux revenir, comme le fait Amadou Hott lancé à la conquête de Yeumbeul ou Amadou Ly de Akilee à Keur Massar, ou faire comme Aimé Sène sur le plan économique, ou le Pr Souleymane Mboup, qui viennent tous deux de Thiaroye Gare.
Renouer avec l’état d’esprit de la banlieue consiste avant tout à refuser qu’on réduise la banlieue à l’arène, ce qui fait des lutteurs, les seules références des jeunes. Depuis la Rome antique, il y a la poussière du Colisée avec ses gladiateurs et les marbres du Senat. Refusons que la poussière du Colisée nous aveugle et nous empêche de voir l’essentiel : comment accéder au Senat. La lutte est une distraction, pas la vie. Evitons qu’elle devienne une arme de distraction massive, c’est-à-dire des jeux qui empêchent d’exiger une meilleure répartition du pain économique. Ce qui est pire que la violence physique, est l’absence de références alternatives pour les jeunes, à part les gladiateurs.
Yoro DIA – 

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