Les manifestants sri-lankais ont annoncé jeudi 14 juillet qu’ils cessaient d’occuper la résidence présidentielle et le bureau du Premier ministre. La situation reste floue, alors que le président, en fuite, et le Premier ministre, nommé président par intérim, n’ont toujours pas démissionné malgré leur engagement à le faire.
Après une journée à lutter pour conquérir le bureau du Premier ministre, le calme règne dans le centre politique de Colombo en ce jeudi 14 juillet. Les manifestants sri-lankais, qui ont contraint le président Gotabaya Rajapaksa à fuir le pays après l’invasion de sa résidence le week-end dernier, ont annoncé qu’ils allaient évacuer les bâtiments publics occupés depuis plusieurs jours. « Nous nous retirons pacifiquement du palais présidentiel, du secrétariat présidentiel et des bureaux du Premier ministre avec effet immédiat, mais nous continuerons notre lutte », a déclaré une porte-parole.
Flou constitutionnel
Les dizaines de manifestants qui occupaient le palais présidentiel descendent ses grands escaliers, dans un dernier cri de ralliement à la gloire de leur mouvement. Décision surprenante : jusqu’à mercredi, ils affirmaient qu’ils partiraient uniquement quand le président et le Premier ministre auraient démissionné, ce qui n’est pas arrivé. Mais depuis, des débordements ont eu lieu : dans la nuit, des manifestants ont essayé de s’emparer du Parlement, sans coordination, et un couvre feu national a été décrété.
« Le président est parti, et il ne reviendra pas, donc cela ne sert à rien de rester ici, résume Lahiru wirasekara, l’un des leaders du mouvement. Et maintenant, le gouvernement instaure un couvre feu et essaie d’imposer un régime militaire. Nous ne voulons pas que le peuple se batte contre l’armée et que cela termine en un bain de sang. Mais nous avons envoyé notre message aux politiciens: ces bâtiments sont des propriétés du peuple, et si vous en abusez et détournez l’argent public, nous pouvons les reprendre. »
Le mouvement continuera depuis la baie de Colombo, devant le bureau du président, qui a d’abord fui aux Maldives avant d’arriver ce jeudi à Singapour. Un énorme campement sert de point de ralliement depuis plus de trois mois. Le pays est plongé dans un flou constitutionnel, rapporte notre envoyé spécial, Côme Bastin.
Hashita, une étudiante de 25 ans, est révoltée : « Je suis déçue, en colère, triste, je n’ai pas de mot. Le président n’a pas envoyé la lettre de démission qu’il avait promise. Le Premier ministre a hérité de son pouvoir mais ne veut pas démissionner non plus. »
La configuration politique décrite par la jeune femme est surprenante mais pas illégale, explique Gehan Gunatilleke, expert en droit constitutionnel à Colombo. « Gotabaya Rajapaksa a donné ses pouvoirs au Premier ministre selon l’article 37 de la Constitution. C’est censé être une mesure d’exception lorsque le président ne peut pas exercer. Mais aucune limite de temps n’est fixée par la loi. En théorie, légalement, Ranil Wickremesinghe peut donc agir comme président par intérim à l’infini. Mais c’est bien sûr une situation intenable. »
Seule la démission de Rajapaksa peut forcer la formation d’un nouveau gouvernement et permettre de sortir de l’impasse, explique Gehan Gunatilleke : « une fois que le président quitte le pouvoir, le Premier ministre reste investi mais l’Assemblée sera chargée de former rapidement un nouveau gouvernement. Il est donc important que les manifestants laissent faire le travail des députés pour sortir de la crise. »
Clan honni
Les Rajapaksa ont concentré le pouvoir à un tel point que le pays a fini par ressembler à une entreprise familiale autocratique, ne rendant de comptes à personne jusqu’à pousser la nation à la faillite. Le petit pays s’est endetté de manière considérable auprès de la Chine en lançant de grands projets de développement, sous la présidence de Mahinda Rajapaksa entre 2005 et 2015. Il a perdu l’élection présidentielle de 2014, mais la dynastie n’avait pas pour autant l’intention de renoncer au pouvoir.
Élu en 2019, Gotabaya a peu à peu réinstallé sa famille à la tête de l’État et a mis en œuvre des réductions d’impôt radicales, malgré les mises en garde internationales à son encontre, provoquant une très importante chute des recettes publiques. Contre l’avis des économistes, les Rajapaksa ont longtemps refusé de se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI). Au lieu de s’appuyer sur de l’aide extérieure, le gouvernement a restreint les importations, plongeant l’île dans une crise sans précédent. Les Sri Lankais se sont retrouvés privés de biens essentiels et aujourd’hui le pays, criblé de pénuries, manque de carburant, de gaz, de nourriture et de médicaments.