Il a sans doute tous les atouts pour se faire élire maire de Dakar, au soir du 23 janvier 2022, mais l’actuel ministre de la Santé, Abdoulaye Diouf Sarr, risque d’avoir une mauvaise surprise. Le candidat de Benno bokk yaakaar (Bby), pour briguer la Ville de Dakar, est parti pour être l’artisan de son éventuelle propre défaite, bien qu’il n’ait véritablement pas en face de lui, des challengers redoutables. Barthélemy Dias, candidat de la Coalition Yewwi askan wi (Yaw), n’a pas un autre discours que l’insolente outrance, l’effronterie, et les électeurs de son bord qui, ne voulant pas s’associer à une telle façon de faire de la politique, pourraient choisir de reporter leurs voix sur Soham El Wardini, une candidate dissidente de Yaw, qui s’estime avoir été trahie par Khalifa Ababacar Sall et les leaders de Yaw, qui n’ont pas respecté leur engagement de reconduire les maires sortants. L’éparpillement des votes de l’opposition, avec notamment les autres candidatures de Doudou Wade (Pds) et Pape Diop (Bokk gis gis), sont aussi de nature à favoriser le candidat Abdoulaye Diouf Sarr, surtout dans un contexte d’élections locales traditionnellement marquées par un fort taux d’abstention. On se rappelle qu’en 2014, 37% seulement des électeurs de Dakar s’étaient déplacés pour voter, alors que les joutes apparaissaient plus disputées qu’elles ne semblent s’annoncer pour cette fois-ci. Les candidatures de la Première ministre d’alors, Aminata Touré, et celle du maire sortant, Khalifa Ababacar Sall, avaient tenu en haleine la campagne électorale. Force est de dire que les profils des candidats en lice pour le scrutin à venir ne semblent pas faire rêver, encore que du point de vue de la présence ou de l’exposition médiatique, Barthélemy Dias apparaît plus visible que son concurrent de Bby.
Le risque pour Bby de gagner
les quartiers et perdre la Ville
La campagne électorale n’est pas encore officiellement lancée, mais à moins de deux mois de la date du scrutin, les états-majors politiques sont en branle. On constate que la coalition Bby a le vent en poupe dans de nombreux arrondissements de Dakar, où les candidats commencent à battre campagne. Il reste que si ces différents candidats multiplient les efforts de mobilisation de leur électorat, sans pour autant que le candidat de leur coalition à la tête de la mairie de ville soit assez mis en avant, ce sera en vain. Chacun travaille pour soi et personne ne travaillerait pour Abdoulaye Diouf Sarr. Quelle est l’articulation de la campagne électorale entre les différents candidats ? Il appartient donc à Abdoulaye Diouf Sarr de chercher à fédérer ces différents ruisseaux et créer une dynamique unitaire pour faire endosser sa candidature partout à Dakar, notamment dans des quartiers populeux comme Grand Yoff, Parcelles Assainies, Grand-Dakar, Médina, Colobane, les Hlm, les Sicap.
L’inédit serait que Bby pourrait arriver à rafler la majorité des dix-neuf mairies d’arrondissement de Dakar et perdre paradoxalement la mairie de la Ville. Ce serait une erreur de croire que remporter les suffrages pour la majorité des mairies d’arrondissement, suffirait pour gagner la Ville. Le système de vote institué pour le prochain scrutin est différent de celui des élections locales passées, où le même bulletin de vote exprimé pour la mairie d’arrondissement était compté, pour le même camp, à la mairie de la Ville. Cette fois-ci, l’électeur aura à voter deux fois, avec deux bulletins différents. Ne pourrait-on pas assister alors à des situations où des électeurs de Bby pourraient voter pour un maire d’arrondissement de leur camp politique et s’abstenir de voter pour le candidat à la Ville ou même reporter carrément leurs votes sur un candidat de l’opposition ? Cela n’est pas à exclure, d’autant que les frustrations n’ont pas manqué, suite à la confection des différentes listes de Bby qui, parfois, ont manqué d’être inclusives. La composition de la liste des candidats pour le Conseil municipal de Dakar fait la part belle aux proches de Abdoulaye Diouf Sarr, et ceci au détriment des autres coteries politiques de Bby à Dakar. Les risques de vote sanction sont donc réels. En effet, des membres de l’Alliance des forces du progrès, du Parti socialiste et des autres formations politiques membres de la coalition ont pu être frustrés au niveau des Sicap, Hlm, Parcelles Assainies, de Grand Yoff. En plus, aux Parcelles Assainies, des partisans de Amadou Bâ (présenté un moment comme un très probable candidat de Bby à Dakar) ne cachent pas leur amertume. Seulement, les investitures pour la mairie de la Ville n’ont pas permis de panser les blessures et il s’y ajoute que les apports potentiels de personnalités de la Société civile pourront faire défaut à la liste de Bby. On soulignera l’autre anachronisme de voir le ministre Mame Mbaye Niang déposer une liste concurrente à celle du camp présidentiel, à Dakar. Ce seront fatalement des électeurs en moins pour Bby. Mame Mbaye Niang pourrait faire mal à Abdoulaye Diouf Sarr, surtout qu’il apparaît être doté de quelques moyens pour faire campagne. Si Abdoulaye Diouf Sarr n’y prend garde, la candidature de Mame Mbaye Niang fera autant de dégâts pour la sienne, que la candidature de Soham El Wardini le ferait contre celle de Barthélemy Dias. Le vote de Dakar est donc parti pour être étriqué.
Le Président Macky Sall pourra toujours chercher à mettre ses troupes en ordre de bataille, mais on ne le dira jamais assez, il appartient à Abdoulaye Diouf Sarr de chercher à colmater les plaies et autres petites rancœurs ; ce qui ne semble pas être son point fort. De nombreux responsables de Bby, qui proposeraient leur aide (sincère ou hypocrite ?), ont le beau rôle de fulminer pour être plus ou moins snobés par Abdoulaye Diouf Sarr. Ce dernier voudrait-il éviter d’être redevable à qui que ce soit, encore moins des concurrents politiques, au soir du 23 janvier 2022 ? Pour autant, devrait-il pousser l’orgueil jusqu’à essuyer un revers électoral qui, au-delà de sa personne, impacterait négativement sur l’action politique du Président Macky Sall?
En outre, Abdoulaye Diouf Sarr devrait travailler à ratisser au-delà de son camp politique. Les électeurs des listes engagées au niveau de certaines mairies d’arrondissement et qui n’ont pas pu ou n’ont pas estimé devoir briguer la mairie de la Ville devront être dragués. Ce serait particulièrement le cas des électeurs favorables à Bamba Fall, à la Medina, ou à Mamoudou Wane, aux Parcelles Assainies, ou encore à Ousmane Touré, aux Hlm. Quelle stratégie pour rallier ces troupes à la cause Diouf Sarr ?
Comment rendre «possible» le nouveau Dakar ?
Abdoulaye Diouf Sarr a présenté hier, dimanche 5 décembre 2021, son programme pour la Ville de Dakar, intitulé «Dakar bu bess ak ADS», c’est-à-dire «un nouveau Dakar avec ADS». Il a loué des temps d’antenne sur plusieurs médias audiovisuels, mais il a laissé à son auditoire, un sentiment d’impréparation. Cet exercice a également permis de révéler à quel point les différents candidats travaillent chacun de son côté. En effet, Abdou Karim Fofana avait déjà, par exemple, présenté la veille, son Programme communal pour Fann-Point E-Amitié et Cheikh Bakhoum avait esquissé les lignes de son ambition future pour Grand Yoff. Ainsi, on aura vu que les actions préconisées par les uns et les autres manquent d’être concertées ou coordonnées. On fait presque les mêmes choses partout et aucune perspective de synergie ne semble être envisagée. Au demeurant, l’acte 3 de la Décentralisation laisse une autonomie plus large aux mairies d’arrondissements, mais la particularité de Dakar, Ville-capitale du pays, donne au maire de la Ville, une stature et un rayon d’action plus prépondérants.
On saura par la suite que de nombreux responsables politiques de Dakar ont découvert le programme de leur candidat à la Ville de Dakar, en même temps que tout le public. En termes de projets, Abdoulaye Diouf Sarr a procédé à un catalogue de bonnes intentions, sans indiquer, de manière spécifique, quoi réaliser, comment, quand, à quels coûts et d’où proviendront les ressources nécessaires pour leur financement ? Pour lui, tout est dans l’ordre du «possible». Soit ! Mais, il reste que s’il ne le savait pas encore, la cérémonie de présentation de son programme de Ville devra avoir permis à Abdoulaye Diouf Sarr de réaliser qu’il lui sera difficile, pour ne pas dire illusoire, de gagner Dakar sans l’implication de Amadou Bâ.
Jusqu’où le Président Macky Sall s’investira-il pour faire pencher la balance du côté de Abdoulaye Diouf Sarr ? C’est un truisme que de dire qu’il souhaite voir son camp remporter la victoire, mais le chef de l’Etat semble encore se garder de beaucoup trop s’impliquer dans les élections locales, d’autant qu’il a appris, à l’instar de ses prédécesseurs, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, à s’accommoder à Dakar, d’un maire qui n’est pas de son bord politique. Encore une fois, pour gagner, Abdoulaye Diouf Sarr devra aller chercher toutes les voix, aucune ne devra être laissée en route. Du reste, si d’aventure, Barthélemy Dias arrivait en tête du scrutin, il serait élu maire de Dakar, mais il est à se demander si ce maire, qui aurait la malchance de voir son camp perdre la majorité des mairies d’arrondissements, arriverait à pouvoir contrôler le Conseil municipal. 45% des conseillers municipaux de la Ville de Dakar devront provenir des mairies d’arrondissements et les autres conseillers seront désignés au prorata des différentes listes concurrentes. Un tel scénario provoquerait la paralysie du Conseil municipal de Dakar.
Par Madiambal DIAGNE – mdiagne@lequotidien.sn