LE PÉTROLE, LE GAZ ET LES SÉNÉGALAIS PAR ABDOUL ALY KANE

par wassare news
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Le Conseil présidentiel qui s’est tenu le mardi 21 décembre sur le pétrole et le gaz annonce officiellement notre imminente entrée dans l’ère de l’exploitation de ces ressources stratégiques dont nous nous croyions inexorablement dépourvus, comparativement aux autres pays de la sous-région.

Nos réserves en ces hydrocarbures sont estimées à trois milliards de barils pour le pétrole, et environ 450 milliards de mètres cubes pour le gaz. Exit donc ce complexe de pauvreté vis à vis des pays pétroliers de la sous-région ! Le Sénégal économique était synonyme d’arachide en termes de richesse. Aujourd’hui, “Dieu a doté le Sénégal de toutes les richesses du sol et du sous-sol » disent certains, tandis que d’autres parlent de « malédiction ».

En toutes hypothèses, nous y sommes, et il appartient aux Sénégalais de faire de cette manne une promesse de vie meilleure à moyen et long terme. Le président de la République a annoncé à cette occasion un train de mesures organisationnelles faisant l’objet de divers projets de lois pour encadrer les opérations comptables, et de schémas d’utilisation des ressources financières attendues.

En substance, il y aura de nouvelles recettes qui seront affectées au budget général (pour 90 % des montants perçues) pour être dédiées, en partie, au financement de projets structurants dans les domaines de la santé, des infrastructures, de l’éducation et de l’agriculture, entre autres. Une autre partie sera réservée à l’achat de titres de placement sur le marché financier, dans le but de constituer une épargne longue au bénéfice des générations futures. Dix pour cent des recettes engrangées seront en effet placées dans un fonds intergénérationnel.

Un Fonds de stabilisation est également annoncé pour corriger les fluctuations des prix des hydrocarbures sur le marché international. Il nous est enfin annoncé qu’avec l’arrivée des premiers mètres cube de gaz et des premiers barils de pétrole, la croissance économique attendue par les autorités en 2023 est estimée à 13,6 %.

Rappelons d’emblée à ce propos que le Tchad a connu cette situation de passage d’une croissance à un chiffre à une croissance à la chinoise à deux chiffres, sauf que, contrairement au géant asiatique, cette croissance ne s’est pas inscrite dans la durée.

Attention au syndrome du pétrole tchadien !

Ce pays est entré dans l’ère de l’exploitation pétrolière en 2003/2004, et le taux de croissance du PIB, dopé par les investissements pétroliers, est passé de 11,3 % en 2003 à 31 % en 2004 !, en raison de l’accroissement des revenus de l’exploitation, pour retomber à des taux prévisionnels de 6,1 % en 2021 et 5 % en 2022.

Pour ce qui concerne notre pays, il devrait en aller de même : le FMI prévoit en effet pour 2023/2024, un pic de taux de croissance de 10 % avec le démarrage de la production pétrolière et gazière, avant de se stabiliser autour de 6 % à moyen terme. En effet, il est évident que l’effet « hausse » du taux de croissance sera fort dès la première année d’exploitation, et sera contenu dès la 2ème année puisque le différentiel de PIB sera redevenu normal.

En réalité, la problématique se rapporte à l’utilisation productive des revenus issus du pétrole et du gaz pour « booster » l’économie. En cela, le choix des investissements est un élément déterminant pour entrer dans un cycle de croissance vertueux. Les investissements d’infrastructures devraient, désormais, être davantage corrélés aux projets marchands qui leur sont adossés.

Ces projets marchands doivent être suffisamment rentables pour contribuer au remboursement de la dette qui a permis le financement des infrastructures structurantes. C’est pour dire que l’ère des infrastructures visibles à l’œil nu et porteuses de réélection doit céder la place à des infrastructures moins visibles mais porteurs de rentabilité et de croissance économique.

Les infrastructures de transport réalisées jusque-là n’ont pas permis de résoudre la question de la mobilité urbaine génératrice de pertes en heures de travail et de ralentissement du commerce. La problématique de la gestion de la dette future qu’on voit venir avec la stratégie de désendettement adossée aux revenus du pétrole et du gaz, pose le problème de l’efficience des investissements réalisés jusque-là dans le cadre du PSE. Des investissements qui auraient dû générer les «cash-flow » à affecter au remboursement d’emprunts.

C’est d’ailleurs ce que le FMI, dans un langage ampoulé, appelle « efficience des dépenses d’investissements ».

La problématique des recettes prévisionnelles provenant de l’exploitation du pétrole et du gaz se pose également. Les 700 milliards annoncés nous semblent quelque peu insuffisants à priori. A titre indicatif, ceux-ci représentent environ 50 % des transferts effectués par nos compatriotes émigrés (environ 2 milliards d’euros par an), ou alors à peu près 22 % du total des recettes internes prévisionnelles de 2022, estimées à 3165 milliards de FCFA, ce qui ne nous semble pas en mesure de bouleverser fondamentalement la situation des comptes publics.

Et si, d’aventure, ce surcroît de ressources financières pétrole/gaz devait être pour partie affecté à la restructuration de la dette dans le souci d’aménager les conditions d’un endettement ultérieur plus large, comme semblent le suggérer les propos du ministre chargé des Finances, l’effet de ce surplus de recettes serait davantage porteur d’un endettement plus lourd. Ce alors même qu’il est attendu, dans la phase actuelle du PSE, l’arrivée d’investissement privés.

L’annonce de l’exploitation de ces ressources minérales intervient dans un contexte particulier tant au plan intérieur que sur le plan international. Au plan international on invoque souvent la malédiction du pétrole pour parler des situations d’instabilité et de précarité vécues par les pays africains dotés de cette ressource.

Dans la sous-région, l’instabilité permanente du Nigeria qui culmine aujourd’hui avec les exactions de Bokko Haram sur les populations n’est pas sans rapport avec son statut de premier pays pétrolier d’Afrique. Le peuple sénégalais, peuple avisé, considérant la paix comme la véritable richesse des peuples, reste sur ses gardes quant à la gestion vertueuse, prudente et préservatrice de la paix sociale de cette manne inespérée devant provenir de notre pétrole et de notre gaz.

Les Sénégalais n’ont pas jubilé à l’annonce des 700 milliards supplémentaires par an !

La preuve en est qu’aucune manifestation de joie ou de liesse ne suit encore les déclarations officielles et autres annonces augurant l’entrée dans une ère de prospérité partagée comme ce fût le cas en Libye ou dans les pays du Golfe lorsque ces ressources minérales ont été mises en exploitation. Nous sommes dans une période où la soustraction systématique de ressources publiques par des gestionnaires irresponsables et sans scrupules, voire kleptomanes, assurés de bénéficier d’une inexplicable impunité, et profitant aussi de lassitude de corps de contrôle devenus inopérants, cette soustraction, donc, a rendu les populations blasées. Dans l’affaire du pétrole, l’antécédent de la tumultueuse affaire Franck Timis impliquant Aliou Sall, frère du président de la République, a laissé des traces qui ont entamé la confiance populaire. À la limite, il ne serait pas totalement faux de dire que de ce pétrole et de ce gaz, les Sénégalais, peu certains d’en bénéficier des retombées, et craignant l’ingérence de prédateurs spécialistes de la déstabilisation politique et sociale, se méfient quelque peu. L’ancien président de la République, Maître Abdoulaye Wade, disait lui-même ne pas vouloir de ce type de ressources, en ce qu’elles étaient sources de conflit, mais également pour leur propension à évincer d’autres secteurs économiques sources de croissance.

On sait qu’au Nigéria, les revenus du pétrole et du gaz représentent environ 50 % des recettes du gouvernement fédéral et plus de 90 % des recettes d’exportation.

Pour en revenir au Conseil présidentiel sur la valorisation des recettes tirées de l’exploitation de nos ressources hydrauliques, il s’est tenu, sans surprise d’ailleurs, en l’absence de l’opposition radicale.

La responsabilité en incombe principalement au pouvoir et accessoirement à l’opposition. Pour commencer par cette dernière, notre pays a vécu l’expérience de compromis « historiques » ayant conduit Me WADE, Dansokho, Bathily et d’autres personnalités à l’intégrité indiscutable à collaborer avec Abdou Diouf, sans pour autant renier leurs convictions.

Loin d’être un appel de ma part à rejoindre un gouvernement (à quel titre le pourrais-je d’ailleurs), ceci serait plutôt un appel au débat pacifique lorsque les questions engagent le pays tout entier.

A l’opposé, des actes forts doivent être posés par le pouvoir actuel, dont les propos et les actes tendant à « réduire l’opposition à sa plus simple expression » ont largement réduit la crédibilité de toute tentative de recherche du « consensuel » sur les questions qui interpellent la nation.

Comment convier l’opposition la table des négociations sans sanctionner les détournements donnant l’impression d’un manque de contrôle voulu au sommet de l’Etat, sans régler les questions de fichier électoral, des droits de l’opposition à manifester etc. ?

Encore faudrait-il que cesse la politique de la carotte et du bâton, la politique de l’épée de Damoclès mise en œuvre par le pouvoir actuel pour éliminer politiquement l’opposition radicale. Le temps est venu de pacifier l’espace politique. Le tout-répressif montre de jour en jour son inutilité pour réduire la contestation. Tous les leaders politiques actuels ont goûté à la prison et nombre d’entre eux projettent de réserver le même sort à ceux-là qui les ont embastillés, lorsque le moment sera venu.

Tout cela est improductif, voire stérile pour le pays ! Tout ce qui engage le pays à long terme doit faire l’objet de consensus. Pour le reste, laissons les urnes dire leur vérité en toute démocratie. La gestion des revenus du pétrole et, d’une manière générale, tout ce qui touche aux fondamentaux économiques, sociaux et sociétaux, mériterait que des espaces de consensus soient dégagés pour faire avancer l’économie par l’accroissement des richesses et leur équitable répartition au profit des couches les plus vulnérables, et préserver la paix sociale.

L’impact de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières doit être apprécié en toute sérénité, et contextualisé dans le cadre du PSE du président Macky SALL.

Un secteur privé national en panne

Le FMI, lors de la mission effectuée du 22 octobre au 20 novembre dernier, a attiré l’attention sur les freins empêchant l’entrée en jeu du secteur privé, en particulier : « le manque d’accès à l’énergie et son coût élevé, le manque d’accès au crédit, la faible efficience des investissements publics, l’insuffisance de capital humain… ».

Faute de réaliser ces réformes, en particulier celle relative à l’accès au crédit, il serait illusoire à notre avis de compter sur le secteur privé national présenté pourtant comme devant être le vecteur des investissements marchands dans cette 2ème phase du PSE.

En effet, en matière de réorganisation institutionnelle du crédit en faveur du développement des PME, et comme nous l’avons souvent évoqué, beaucoup reste à faire.

En conclusion, la gestion du pétrole et du gaz appelle de nouveaux comportements. La liberté prise par les gestionnaires d’utiliser les ressources publiques à leur profit personnel doit cesser. Pour cela il faudrait déterminer les raisons de ces détournements et déconstruire le système. Voracité de certains Sénégalais mise à part, c’est l’art de faire la politique qu’il faut changer dans notre pays.

A notre sens, c’est la priorisation des ambitions politiques et des positions de pouvoir qui expliquent pour une bonne part ce type de comportement qui perdure. Lier la nomination aux postes stratégiques à la collecte de suffrages électoraux et laisser croire que l’échec électoral et la perte de poste de responsabilité vont de pair, ces deux choses ont ouvert la boîte de Pandore. A partir du moment où le comportement délictueux voire criminel n’est pas sanctionné à suffisance, les concernés prennent cela comme un accord tacite de la part du parti et de son premier responsable, qui porte en même temps la casquette de Chef de l’Etat.

La règle doit être de déconnecter la fonction politique de la gestion des deniers publics, et de rendre le gestionnaire comptable de ses actes pour pouvoir le sanctionner à la hauteur de la faute commise, quel que soit son niveau de responsabilité politique. Enfin, les populations pauvres considérées comme du bétail électoral entre les mains de politiciens et de notables systématiquement alignés sur le parti au pouvoir, ne sont pas en reste. La pauvreté plonge les populations dans les bras de ces politiciens corrupteurs, évoluant dans les sphères de l’Etat et soucieux de jouir à souhait des avantages de leurs postes. Là où les hommes politiques mettent en avant le développement local, eux sortent les billets de banque, ce qui souvent met fin au débat programmatique.

L’architecture à déconstruire va en réalité jusqu’à la limitation du mandat d’un Président Tout Puissant à un seul mandat, pour qu’il puisse échapper à la tentation de rempiler pour soit disant « achever ses travaux » et maintenir tout un système de prédation dont il serait en définitive le seul comptable à l’heure de la reddition des comptes.

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