Un Premier ministre, pour quoi faire ?

Le Président Macky Sall a décidé d’un réaménagement de la Constitution en vue de restaurer la fonction de Premier ministre qu’il avait fait supprimer en mai 2019, au lendemain de l’élection présidentielle. L’Assemblée nationale, saisie en procédure d’urgence, devrait pouvoir adopter le projet de réforme constitutionnelle à une majorité qualifiée des 3/5èmes des députés. On peut même augurer que vu l’enthousiasme manifesté par la majorité parlementaire, le texte devrait être voté à l’unanimité des députés, y compris ceux de l’opposition. En effet, il serait incohérent d’exercer un vote mécanique de rejet, alors qu’on s’était vivement opposé à la suppression du poste de Premier ministre. On serait bien curieux de voir un député de l’opposition argumenter son éventuel refus d’adopter le texte, autrement que par une posture nihiliste ou grégaire.
Les raisons qui avaient décidé le Président Sall de se passer d’un Premier ministre dans la conduite des affaires publiques ont pu être discutables mais il faut dire qu’il a de nouvelles bonnes raisons de devoir se faire assister d’un Premier ministre.

En 2022, Macky Sall passera plus de temps à l’étranger qu’au Sénégal
Le Président Macky Sall va occuper les fonctions de président en exercice de l’Union africaine (Ua), au début du mois de février 2022, pour un mandat d’une année. Il va succéder à son homologue de la République démocratique du Congo (Rdc), Félix Antoine Tshisekedi. Il est arrivé le tour de l’Afrique de l’Ouest pour assurer la présidence tournante de l’organisation panafricaine. Le choix n’était pas large au sein de la Cedeao, en février 2021, au moment de proposer une candidature d’un chef d’Etat de la sous-région pour diriger l’Ua en 2022. D’aucuns venaient d’arriver au pouvoir, d’autres ne devront plus être en poste ou auront à être confrontés à une élection présidentielle dans leur propre pays au courant de l’année 2021 ou durant la période 2022-2023, année du mandat préconisé à la tête de l’Ua. Le Président Alassane Dramane Ouattara, qui venait d’être réélu dans des conditions on ne peut plus controversées, avait fort à faire pour rétablir la paix et la stabilité en Côte d’Ivoire. Seuls trois chefs d’Etats d’Afrique de l’Ouest pouvaient ainsi être «éligibles» pour occuper la fonction de président en exercice de l’Ua. C’étaient Macky Sall (Sénégal), Alpha Condé (Guinée) et Faure Gnassingbé (Togo). Mais le Président guinéen Alpha Condé était d’office disqualifié car il avait été le dernier chef d’Etat membre de la Cedeao à être président en exercice de l’Ua (2017-2018). Faure Gnassingbé a, pour sa part, trouvé le Président Sall plus légitime pour diriger l’organisation continentale et donc le Togo s’est effacé devant la candidature du Sénégal. Le Président Sall devait-il renoncer à cette opportunité, surtout que Abdoulaye Wade n’a pas eu cette occasion malgré le poids diplomatique du Sénégal sur la scène africaine ? Bien sûr que non !
La position offre une grande exposition diplomatique du pays mais il reste que la présidence de l’Ua est exigeante du point de vue de l’agenda international. Figurons-nous que depuis son installation à la tête de l’Ua en février 2021, le Président Congolais, Félix A. Tshisekedi, a, pour une fois, passé, ce samedi 27 novembre 2021, vingt-trois jours d’affilée dans son pays. Au carnet de bord de l’avion présidentiel de la Rdc, on dénombre quelque 43 voyages officiels à l’étranger pour la seule année 2021. Finalement, le Président Tshisekedi a passé, en l’espace de huit mois, plus de temps à l’étranger que dans son pays ! Un jeu de décompte du nombre de séjours de «Fatshi» (diminutif du nom du Président Félix Antoine Tshisekedi) à l’étranger et leur cartographie fait fureur dans les réseaux sociaux à Kinshasa.
C’est justement ce qui attend le Président Macky Sall les mois à venir, et peut-être même pire !
A la tête de l’Union africaine, le président en exercice a des rendez-vous inscrits dans son agenda et auxquels il ne pourrait se dérober. Ce sont les Sommets des G20 et G7, l’Assemblée générale de l’Onu, les réunions de coordination de l’Union africaine qui regroupent le Bureau de l’organisation plus les présidents en exercice de communautés économiques régionales. Il faudra aussi ajouter les sommets extraordinaires quand des circonstances humanitaires, sécuritaires, sanitaires ou diplomatiques l’exigent. Il y a également des réunions ou événements imprévisibles, ainsi que des invitations d’honneur, auxquels le président en exercice ne peut se soustraire, et même des missions de paix ponctuelles quand le torchon brûle entre certains pays africains. Quand on en juge par l’expérience, on peut augurer que des missions de ce genre ne manquent jamais en Afrique.
L’année prochaine, le Président Sall aura à prendre part à des rencontres internationales sur le climat, la biodiversité, ainsi qu’à des Sommets de l’Omvs, de l’Omvg, de la Cedeao, de l’Uemoa auxquels le Sénégal ne participera pas que comme Etat-membre mais aussi comme président en exercice de l’Ua. En conséquence, le Président Macky Sall ne pourra pas s’y faire représenter. En plus des Sommets de l’Oci et de l’Oif, l’agenda diplomatique sera surchargé par des Sommets Chine-Afrique, Russie-Afrique, Ticad, Inde-Afrique, des rencontres avec l’Union européenne et certainement par la nouvelle initiative de l’Administration Biden avec un Sommet Usa-Afrique, un projet dévoilé par le Secrétaire d’Etat, Antony Blinken, durant sa tournée africaine de la semaine dernière. Le Sénégal aura son propre agenda diplomatique bilatéral qui impliquera des déplacements du chef de l’Etat à l’étranger.

Qui pour garder la «Maison Sénégal» ?
Il sera alors nécessaire d’avoir un Premier ministre pour tenir le pays. Cette personnalité devra être solide, rompue aux affaires publiques et compétente. Mais il lui faudra aussi d’autres qualités pour rassurer son «chef». Le Premier ministre devra être loyal et transparent. Il ne faudrait sans doute pas non plus qu’il fasse montre d’autoritarisme pour éviter au chef de l’Etat d’avoir à être occupé à arbitrer des contentieux internes de son gouvernement ou à devoir jouer au sapeur-pompier. Au contraire, le Premier ministre devra se révéler être un pacificateur. Dans le contexte politique actuel, il serait nécessaire à un Premier ministre d’avoir le sens du dialogue, d’être un rassembleur et non d’être trop clivant.
Le Président Macky Sall avait souhaité impulser un rythme plus accéléré des actions du gouvernement et pour ce faire, avait estimé devoir se passer d’un Premier ministre. Ainsi, il avait à s’occuper directement du contrôle et de la coordination des actions des différents ministres. Mais à l’épreuve, il faut admettre que la réforme de suppression du poste de Premier ministre n’a pas apporté plus d’efficacité dans l’action du gouvernement. On a pu observer que dans de nombreuses situations, les ministres arrivaient à s’ignorer les uns les autres. On ne manquera pas de relever que les rivalités politiques ou les animosités ou relations interpersonnelles n’ont pas manqué de déteindre sur leur collaboration. C’est ce qui rend encore plus ardu le choix du futur Premier ministre et de son équipe gouvernementale. Le chef de l’Etat devra veiller à éviter de mettre ensemble des personnalités qui seront occupées à se mener des guerres larvées de positionnement, en vue d’obtenir plus d’emprise dans l’appareil d’Etat. Il y aurait un risque à laisser croire que le choix du Premier ministre procèderait de la désignation d’un éventuel dauphin car cela l’exposerait à toutes les guerres et autres manœuvres hostiles. L’année 2022 sera une année de relance économique, après une dure période de la pandémie du Covid-19 qui a induit un sérieux ralentissement de l’activité économique. Un gouvernement efficace ne devrait pas perdre du temps à des querelles politiques stériles pour des agendas autres que le redressement de l’économie nationale. Pour autant, les fonctions régaliennes de l’Etat devraient être assurées par des personnalités qui ne tremblent pas devant les risques et périls. Les auteurs des velléités de chercher à faire peur à l’Etat et aux autorités publiques, jusqu’à empêcher l’application des règles et principes fondamentaux de l’Etat de droit, devront trouver à qui parler. Il y va en effet du devoir impérieux de la sauvegarde de l’idéal républicain. Il s’avère nécessaire de reprofiler le gouvernement afin d’y placer des hommes et femmes ayant un pedigree éloquent, plutôt que des personnes dont le seul mérite ou atout serait d’avoir été aux côtés du Président Sall pour la conquête du pouvoir, ou de provenir seulement d’un patelin, ou d’appartenir à un groupe social quelconque. Les impératifs de résultats qui vont peser sur le prochain gouvernement devront commander au Président Sall d’être plus exigent quant au niveau de compétences de ses ministres.

Post scriptum. Qui parle d’ethnicisme et de régionalisme ?
Il n’a pas échappé à de nombreuses personnes, que dans son propos pour récuser, encore une fois, les magistrats qui auront à connaître de son affaire de viol avec Adji Sarr, Ousmane Sonko, leader de Pastef, a utilisé un argumentaire assez spécieux. Pour lui, le nouveau Procureur de Dakar, Amadou Diouf, serait de Fatick et le Doyen des juges de Dakar, Oumar Maham Diallo, serait lui du même village que Farba Ngom, le griot attitré du Président Macky Sall, et pour ces raisons, il ne saurait leur faire confiance et doute de leur neutralité. Ainsi, Ousmane Sonko reste-t-il dans la même logique que le Juge d’instruction Mamadou Seck, qui s’était désisté du dossier Adji Sarr, invoquant le motif que sa propre épouse est d‘ethnie diola. Quel procès d’intention ne nous avait-on pas fait quand nous avions eu l’impertinence, à travers ces colonnes, de dénoncer les dérives ethnicistes récurrentes de Ousmane Sonko et de ses partisans dans leurs propos ? Où sont tous les grands croisés contre l’ethnicisme et le régionalisme qui, avec une malhonnêteté sidérante, montaient sur leurs grands chevaux dans l’esprit de chercher à nous discréditer ou nous jeter l’opprobre. A moins que leur indignation, comme toujours, soit à la tête du client… Qui aura le toupet de préconiser que les autorités judiciaires laissent le soin à Ousmane Sonko de choisir ses juges ?
Par Madiambal DIAGNE – mdiagne@lequotidien.sn

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